COMME DEUX LÉZARDS AU SOLEIL

Fait inhabituel, je n’ai pas reçu d’appel d’Yves me commentant l’expédition qu’il a menée en solo dans la forêt de Mios la veille. Mais bon il est peut-être resté sur place et n’a pas de réseau. Toutefois sur ma boite à lettres électronique je lis un message du planteur confessant qu’il a « paumé » son téléphone portable dans la lande. Voilà qui explique son silence. Comme son installation fixe n’est pas fonctionnelle pour cause de batterie ne rechargeant plus j’imagine que mon ami est au plus mal, quasiment coupé du monde. Comment se passer de ce lien indispensable à l’activité professionnelle, associative, amicale sans détailler tous les services dépendant de l’accès à la Toile ?

Bref, n’ayant pas de programme arrêté aujourd’hui, disponibilité du retraité, je me propose pour conduire Yves vers les lieux du crime. Sur le trajet il me confie estimer à 30% les chances de retrouver son appareil. La veille il avait débuté des recherches la nuit tombante, invité un pêcheur trempant la ligne un peu plus loin à l’aider en l’accompagnant dans la parcelle et en faisant sonner le bidule. « Qu’est-ce que vous me demandez là, monsieur, je suis ici tranquille et je ne viens pas vous importuner, moi. Demandez aux gendarmes ! » Imaginons une brigade de gendarmerie mobilisée pour pallier l’étourderie du citoyen moyen en patrouillant dans les semis. Les départs en vacances, la sécheresse et les risques d’incendie, les gilets jaunes peuvent attendre.

Il est midi, il fait déjà 29 degrés, pas un nuage dans le ciel. Je me suis pourvu en gourdes d’eau, casquette, crème solaire mais il va falloir s’habiller de pied en cap de peur d’attraper une tique ou de se faire agresser par les ajoncs. Yves me demande de nous arrêter préalablement au bord de la mare qui lui sert de réservoir pour arroser ses sujets et surtout dans laquelle il a relâché les têtards prélevés dans d’improbables flaques dans les friches de La Bastide. Cela dans l’idée d’enrichir le biotope (et de désorganiser l’écosystème).

la mare en juin

Yves, qui n’a pas perdu tout son sang-froid, distribue le pain qu’il a pris soin d’apporter pour le plaisir de voir rappliquer de tout petits poissons affamés. Bon, c’est bien joli et captivant mais nous sommes-là pour retrouver le portable dont la batterie est épuisée et que nous ne pourrons même pas faire retentir. La zone incriminée, le guide en est convaincu, se limite à une langue de semis récents de deux cents mètres par cinquante. Grâce au ciel le sol est sablonneux parsemé de ronces, d’ajoncs, de bruyères de faible hauteur et des pins maritimes de deux ans environ. Il n’y a pas d’immenses fougères comme l’autre fois et que l’on ne voyait pas où l’on posait les pieds.

Il fait bien chaud, pas un souffle de vent, pas d’ombre. Seul le craquement d’un criquet dérangé par notre approche et s’écartant bruyamment se fait entendre, les lézards sont plus discrets, ils se faufilent de touffes en touffes sans faire de scandale. Le planteur m’explique qu’il a fait des allées et venues d’une ligne de ses pins parasols à une autre pour les arroser et qu’il nous faut zigzaguer de même entre l’orée de la forêt et ses semis. La méthode me semble fantaisiste mais bon. Nous assurons un premier balayage. Quand même, me dis-je, ce que nous cherchons n’est pas si petit et nous avons des chances raisonnables de le repérer. « Il a pu tomber sur la tranche et s’enfoncer dans le sable… » soupire mon compagnon ce qui me parait peu plausible. Parvenus à l’extrémité de la parcelle nous faisons demi-tour maintenant en droite ligne sur un côté à quelques mètres de distance l’un de l’autre, balayant le sol comme des chercheurs d’or avec leur « poêle à frire ». Cela demande un peu de concentration, nous ne parlons pas, nous ne pouvons méditer ou même rêver, il faut demeurer attentif… Une heure passe, nous voilà au bord de la piste. C’est le moment de nous hydrater. Sans plus tarder nous repartons décalés de dix mètres pour ratisser une autre bande de terrain. Je sens poindre un mal de tête et j’ai une pensée furtive en direction de ma piscine.



pour donner une idée du terrain

Et voilà, nous avons fait cinq ou six passages sur la parcelle et honnêtement j’estime que si le téléphone est là, il est diablement bien caché. Il est très peu probable que quelqu’un soit passé avant nous, les étangs de pêche sont à deux kilomètres et aucun véhicule n’est en vue. Il faut se faire une raison n’est-ce pas ? Et puis, au fait, c’est peut-être dans la voiture empruntée hier que le truc est planqué, le sournois.

Nous rembarquons un peu dépités mais avec le sentiment du devoir accompli. Yves, qui ne perd pas le Nord me demande de le laisser revoir sa petite mare, il veut vérifier que le pain est apprécié par ses protégés. Je demeure dans la voiture estimant que mon temps raisonnable d’exposition au soleil est largement dépassé. Il fait 32 degrés selon le tableau de bord. Quelques minutes s’écoulent puis j’entends des cris dans les fourrés et Yves rapplique, hilare. Alors qu’il scrutait la surface de la mare à ses pieds il a pris conscience de la présence d’un objet bien connu à portée de bras, sur le bord, planté sur la tranche dans cinq millimètres d’eau. Son portable !

Sur le trajet du retour c’est un peu la fête, le guide n’en revient pas de sa chance, de nous être arrêtés une deuxième fois à la mare alors qu’à la première nous n’avions rien remarqué. Il n’ose pas se servir tout de suite de son appareil de peur de l’humidité qui s’est sans doute infiltrée. « Je ne prends plus de risques, je vais l’apporter aussitôt chez le réparateur, il fera sécher les composants. »

Et bien nous sommes satisfaits, la situation est rétablie malgré les contrariétés de l’existence.

Olivier f. Léonard

PS Le 17 juil. 2019 à 14:49, Les Artisans du mobile ont écrit :

Bonjour, Nous sommes désolés mais nous vous confirmons que votre téléphone est HS. Vous pouvez venir le chercher quand vous voulez. Bien à vous,

« Le sage supporte aequo animo les coups de l’adversité. »