LA FERME PERDUE

Ce jeudi-là je proposai à Yves d’aller vérifier cette parcelle de pins au-delà de Naujac, si éloignée de nos bases que nous n’y avions pas mis les bottes depuis cinq ou six ans.
Rendez-vous fut fixé à dix heures claquantes non loin du Grand Hôtel, place de la Comédie . Par le plus pur des hasards je trouve à me garer à l’endroit rêvé. On voit bien que les vacances sont là me dis-je. Les vacances oui mais pas mon ami le guide qui déboule dix minutes après, chargé comme un baudet et ayant pour excuse qu’il discutait avec des ouvriers s’apprêtant à débarrasser des fenêtres de leur huisserie en bois pour la remplacer par du pvc.

Moi, je pense qu’il ne faut pas courir deux lièvres à la fois et que l’important était d’arriver à l’heure mais je ne me fais guère d’illusions, en quinze ans j’ai souvent attendu monsieur Simone. Le démarrage est encore retardé par l’achat du pain qu’il faut assurer dès la rue Fondaudège dans une boulangerie connue (Yves se méfie de tout ce qui se situe au-delà du centre historique) puis du journal Sud-Ouest ce qui est encore assez compliqué du fait des travaux de création de la ligne D. Je lui fais observer que nous aurions trouvé ce canard un peu plus loin sur la route mais il me dit craindre de ne pas avoir l’édition Bordeaux Centre comme si les boulevards passés on entrait dans un monde étranger où les pages locales du quotidien abordent des sujets exotiques et hors de son intérêt.

Bref, il est déjà 10h45 lorsque nous prenons la route de Lacanau pour de bon. Le trajet jusqu’à Naujac s’effectue sans anicroches et deux heures après nous sommes dans le secteur désiré. Reste à retrouver notre parcelle.


Il faut bien reconnaître que rien ne ressemble plus à une piste forestière qu’une autre piste, un tracé de sable plus ou moins défoncé bordé de fossés profonds trouant la forêt de pins maritimes sans guère de points de repère. Je sais bien qu’à chaque occasion nous avons beaucoup hésité avant de tomber presque par chance sur ladite parcelle. Cette fois-ci par excès d’optimisme je n’avais pas relu mes notes et Yves me fait malheureusement confiance dès qu’il s’agit de trajets en voiture. J’ai en tête qu’ayant débouché sur la route de Lesparre ce n’est pas le premier chemin, nous empruntons le second, il y a une maison à droite comme dans mon souvenir (pas dans ceux de Yves) mais après avoir roulé deux kilomètres nous convenons que cela ne peut être aussi éloigné de la départementale. Nous revenons en arrière pour essayer la troisième piste qui s’avère sinueuse et ne s’accordant pas à ce que nous en espérons. Nous rebroussons chemin derechef et comme plus loin commence le village du Blanc qui nous est inconnu nous nous accordons à penser qu’il faut tenter, en fin de compte, la première piste.


La première piste est très sauvage, l’herbe pousse abondamment dissimulant traitreusement de profondes ornières et pas la moindre maison sur le côté droit. Je suis passablement sceptique lorsque nous apercevons la silhouette d’un marcheur un peu plus loin. L’homme, la trentaine barbue et bedonnante, se révèle très décevant :
« Une piste dans les parages avec une ferme en ruines près d’un carrefour ? »
Avec un lourd accent trahissant des origines belges, notre marcheur nous avoue être en séjour chez sa marraine qui « habite là-bas, la maison aux volets rouges, vous savez, une fois ! «  Nous le laissons donc là, à ses insuffisances, pour prendre la première piste à gauche dans l’idée de retomber sur le chemin numéro deux. C’est-à-dire le premier essayé (je me demande si vous suivez, vous, dans le fond ?).

En remontant vers la départementale nous avisons une maison sur la droite. Yves se porte volontaire pour demander des renseignements. C’est une Hollandaise, cette fois, qui nous affirme que la seule ruine qu’elle connaisse se situe à 100 mètres de l’autre côté de la piste. Bon cela ne correspond pas à mon souvenir et peut-on se fier à des personnes récemment arrivées sur le site ?

Très peu après il y a cette maison sur la gauche qui m’avait rassuré une heure auparavant lors de la première tentative. Deux beaux dogues se précipitent au portail. « Vas-y, me dit Yves, c’est ton tour ! » Ces animaux ne l’inspirent pas vraiment. Je me présente donc à la rencontre d’un monsieur attiré par l’agitation de ses bêtes. Je lui expose notre ambition de trouver la ferme en ruines et il m’explique dans un bon français avec un accent germanique prononcé qu’il réside ici depuis six ans et que la seule ruine dans les parages se trouve à deux cents mères comme la Hollandaise l’a affirmé. Ecoutant ce chorus européen nous décidons de vérifier « pedibus » l’information.

Un sentier bordé de mûriers et de bruyères nous mène en cinq minutes à un monticule de blocs rocheux et plus loin à une bâtisse pas vraiment en ruines mais pour laquelle il faudra prévoir quelques travaux. Et non ! cela ne colle pas, notre ferme était enfouie dans les arbres et celle-ci se dresse dans une zone dégagée. Flûte alors, le temps passe et nous sommes en pleine déconfiture.


Nous récupérons la voiture pour remonter à la route. Je commence à avoir les crocs et je me dirigerais volontiers vers Hourtin où se situe une plantation bien repérée. C’est sans compter sur la pugnacité de mon compagnon.


« Ce sont des personnes nouvellement arrivées, elles ne sont pas informées de tout et la ferme en ruines est bien cachée. Il faut demander à quelqu’un du cru. »
De l’autre côté de la départementale nous avisons un quidam qui s’occupe dans son jardin. Un coup de chance car des maisons il n’y en a pas lourd dans le coin et souvent elles sont fermées. Passant à travers les broussailles Yves va aux renseignements : L’homme se révèle accueillant et nous indique une maison en ruines mais il faut revenir vers Naujac, quelques kilomètres en arrière. Il se propose de nous y amener si nous ne trouvons pas et nous confie son numéro fixe. Nous repartons mais, au carrefour menant à Naujac nous réalisons que le tuyau est crevé, non, ce n’est pas là. En désespoir de cause nous décidons d’appeler monsieur Laoué, le conseiller municipal qui nous a confié la parcelle douze ans auparavant. Après quelques péripéties nous le joignons et en deux mots il nous guide sur la carte. Le lieu-dit Peroton, premiere piste à droite sur la départementale.


Cinq minutes plus tard nous sommes sur place ! Nous étions passés par là peu après avoir interviewé le promeneur belge, sans rien reconnaitre… La végétation a pris de l’ampleur  et cela change tout. Un coup d’œil à la montre m’indique qu’il est 14h00 passées. Il nous a donc fallu quatre heures pour joindre le site, le même temps qu’il faut pour aller au fond des Pyrénées ou à Orléans. Pfuuuh ! Quelle efficacité…


Avant de nous accorder le pique-nique pourtant mérité nous jetons un premier regard sur nos sujets. Les maritimes ont remarquablement poussé et il faut se frayer un passage dans les buissons d’ajoncs. Au début il semble qu’il n’y ait plus rien puis à force d’attention nous repérons un pin parasol planqué sous les fougères qui doit faire cinquante centimètres et dont l’avenir, dans cette ombre ambiante, parait précaire et un deuxième magnifique en lisière du fossé, uniquement repérable par le tuteur qui subsiste à son côté car il est aussi grand que ses voisins, plus de trois mètres.

De l’autre côté de la piste nous découvrons un troisième sujet de belle venue. Au total trois pins dont un chétif ont survécu. Quand on pense que depuis le début, après le passage dévastateur de la landaise il est vrai, nous en avons planté au moins 20 ! Il y a du déchet.
La morale de l’histoire serait qu’à 100 kilomètres de Bordeaux on peut errer longuement dans les forêts avant de se retrouver. Finalement c’est rassurant, nous disposons dans notre beau pays d’un peu d’espace.

Olivier F. Léonard